mercredi 8 août 2012

Combien nous coute la collusion et la corruption?




Est-ce que les cas de collusion déjà identifiés sont des cas isolés? Comment peut-on en évaluer l’ampleur? Combien cela nous coûte-t-il ? Voilà quelques questions auxquelles j’essai de répondre dans ce article. 

À chaque jour ou presque les journalistes rapportent de nouveaux cas de collusion.  Le contrat des compteurs d’eau,  la surcharge des coûts des usines d’épuration des municipalités du Montréal métropolitain, la surévaluation du volume de sols à décontaminer, les contacts par des politiciens avec des promoteurs en construction reliés à la mafia, des terrains vendus par la municipalité de Montréal?  à des coûts plus bas que leurs coûts d’acquisition, des firmes de génie conseil et des bureaux d’avocat qui financent les campagnes électorales municipales en retour de contrats bien payants, les exemples ne manquent pas.  Combien d’autres cas y a-t-il?  Il y en a suffisamment pour instituer la Commission d’enquête Charbonneau et l’Unité Permanente Anti Corruption.

 Et il y a  l’organisation criminelle que l’on appel les  « Fabulous Fourteen » dont la raison d’être est la collusion dans l’industrie de la construction d’infrastructure dans le grand Montréal.  Il est constitué d’un groupe de 14 entrepreneurs en construction qui construisent la quasi-totalité des routes, rues, autoroutes, égouts, aqueduc, hôpitaux et édifices publics de la région. C’est la part prépondérante des travaux de l’ensemble du Québec. Selon des reportages publiés dans « La Presse » et à l’émission « Enquête », les membres de cette organisation criminelle, surnommée  «Fabulous-14», se concertent depuis plusieurs années  pour déterminer à tour de rôle, qui remettra la soumission la plus basse, de façon à toujours obtenir des contrats bien au-delà du prix qu’ils auraient obtenu en suivant les règles.  L’augmentation de coût des infrastructures par cette fraude a été évaluée à 30% par le journaliste Alain Gravel de l’émission Enquête[1].  Voici un exemple : au cours des trois années (2008, 2009 et 2010) l'arrondissement Anjou a accordé 100% de ses contrats à Construction Louisbourg, propriété de l'homme d'affaires bien connu Tony Accurso.[2]  Est-ce possible que Construction Louisbourg soit toujours le plus bas soumissionnaire?  

Et il y a le Ministère des Transports.  Pour en savoir plus lisez le rapport Charbonneau. Vous aurez tous les détails sur les techniques de collusion et de corruption utilisés à travers le Québec par les firmes d’ingénieures et les entreprises en construction. 

Et il y a finalement nos projets gouvernementaux constamment en dépassements majeurs :

Projets en cours ou terminés

Évaluation initiale en millions
Évaluation projetée ou coût final en millions
Dépassement en millions
Dépassement en %
Train de l’est [3]
390,0
715,3
325,3
83,4%
Échangeur Dorval [4]
126,0
193,3
62,3
53,4%

Métro de Laval [5]
378,8
785,0
406,2
107,2%
CHUM [6]
1 200,0
2 089,0
889
74,0%
Route 175 (dédoublement de la route à travers le Parc des Laurentides) [7]
525,0
1 100,0
575
110,0%
Projets au Ministère des Transports [8]
337,0
420,0
83
24,6%
761 Contrats informatique Hydro-Québec [9]
369,0
760,0
391
106,0%
Dossier santé (Le projet original est annulé après 5 ans et 308 millions de dépensés. La dernière évaluation pour le compléter est de 1,4 milliard [10]
563,0
1 400,0
837
149,0%
Îlot voyageur [11]
332
529
197
59,3%
Total
4 783,8
8 554,6
3 770,8
78,8%

Un dépassement de 1 à 20 % peut s’expliquer par des erreurs de conception, d’évaluation et de gestion ou par des hausses imprévisibles de prix à l’approvisionnement. Cet échantillon de dix projets représente  des dépassements de 3,8 milliards sur des évaluations initiales de 4,8 milliards de dollars, un dépassement de 79%. C’est une part anormalement élevée sur un groupe de projets représentatifs de l’ensemble des grands projets gouvernementaux québécois. L’explication la plus probable est un dépassement excessif dû à la collusion et la corruption. Tous ces faits nous amènent à dire que nous ne sommes plus devant une situation de cas isolés mais bien face à un problème de collusion et de corruption généralisé. 

À combien se chiffre le pourcentage de dépassement des coûts pour l’ensemble des projets d’infrastructure gouvernementaux au Québec?  Personne ne fait la comptabilité de la collusion et toute évaluation peut être contestée.   Malgré ça quelqu’un doit prendre des décisions sur des mesures anti-collusion et pour agir correctement doit mesurer ce taux de fraude en se basant sur des évaluations. 

Compte, tenu des faits ci-dessus,  avec le 30% calculé par monsieur Gravel me semble conservateur.  Une façon d’évaluer les coûts publics liés à la corruption est d’appliquer ce pourcentage à la dette du gouvernement du Québec, des municipalités et de l’Hydro-Québec correspondant aux immobilisations qui sont composées principalement de projets d’infrastructure. Cette part volée de 30% représente alors 34,4 milliards de dollars[12]. Si cette somme avait été investie dans les réseaux de transport Montréalais il n’y aurait plus de problème de congestion  et de transport en commun.  Cela représente 70% de l’écart entre la dette per capita des Ontariens et celle des Québécois[13]. 
De plus, ce vol nous coûte 1,65 milliard par année en remboursement de capital et d’intérêts.  Cette somme correspond à 1,6 fois les revenus de la nouvelle taxe sur la santé de 200$ par personne en 2012[14] et à sept fois l’augmentation totale sur cinq ans des nouveaux frais de scolarité[15]

Si on tenait compte de ce taux de corruption dans l’établissement du tableau mondial des indices de corruption des pays, je ne serais par surpris que le Québec  se retrouve entre l’Italie et la Grèce.  Cette somme astronomique permet aux actionnaires de firme conseils et de firmes de construction de vivent grassement à vos dépends dans leurs résidences de style « château » de banlieue, construites sur les rives des plans d’eau entourant l’île de Montréal, avec leurs voitures de grand luxe, leurs yachts aux Antilles et leurs beaux chalets dans les plus agréables régions de villégiature de la province. 

L’ampleur du problème est telle qu’aucun autre enjeu électoral n’est plus important. Jusqu’à maintenant aucune mesure anti collusion à part quelques vœux pieux n’a été proposée.  Il faut de nouvelles lois,  des organismes de surveillance indépendants du politique, des codes d’éthiques avec des dents… . Ce n’est pas seulement la survie des programmes sociaux, c’est la survie de la démocratie même qui en dépend.    



[12] Calculs du butin volé 
La dette publique selon le budget 2012-2013 [12] est de 171 milliards. De cette dette 53,0 milliards sont attribuables aux immobilisations, soit 31% du total. Le reste représente de déficit accumulé d’année en année par le gouvernement.  Les dettes des municipalités et de l’Hydro-Québec sont entièrement attribuables aux immobilisations et presque toutes attribuable à des projets d’infrastructure. Elles sont respectivement de 21,4 et de 40,2 milliards[12]. Cela fait un total de 114,6 milliards (53 + 21,4 + 40,2).
Posons maintenant trois hypothèses :
1) La règle de l’appel d’offre est applicable à presque tous les acquisitions du gouvernement à quelques exceptions près.
2)  On évalue à 30% au minimum les coûts de la fraude dans l’attribution des contrats d’infrastructure soit 34.4 millions (114.6 X 30%).
3) Le taux moyen du service de la dette du gouvernement du Québec est de 4,8 %  soit 5,5 milliards (4,8/100  X 114,6). C’est ce qui en coute pour rembourser  la dette relié aux projets d’infrastructures à chaque année. Ce taux peut raisonnablement être appliqué aux dettes de l’Hydro-Québec et des municipalités.
La somme annuelle volée dans vos poches est donc de 1,65 milliard (30/100 X 5,5 milliards). C’est la part du remboursement des sommes volées qui ont été versée aux actionnaires d’entreprise en service conseil et entrepreneurs en construction.